Un garde du corps inflexible

Je regardais ma montre : quinze heures de l’après-midi. Il me restait encore une bonne heure de service avant de pouvoir quitter cet infâme costume trois pièces qui me donnait l’air d’être un gorille apprivoisé. Je détestais déjà les tenues d’apparat quand j’étais en service actif, ce n’était pas pour être déguisé en pingouin garde du corps. Je détestais ce job mais il avait le mérite de payer les factures et surtout l’institut de Maddy. Cette clinique me coûtait un bras chaque mois mais elle y était bien d’après ce que j’avais constaté. Ses crises étaient plus espacées et j’espérais un jour, pouvoir à nouveau retrouver le véritable sourire de ma petite sœur. Cet espoir me poussait chaque mois à réunir la somme quitte à me priver de bouffer ou à chasser ma propre nourriture. On m’avait appris à survivre dans des territoires hostiles et la Nouvelle-Orléans ne me paraissait pas non plus, un enfer sur Terre. « Désolé, on ne passe pas. J’ai pour ordre de ne laisser entrer personne alors faites demi-tour » m’adressais-je à un des employés de la chaîne. L’agence n’avait pas été fichue de me transmettre les dossiers du personnel à temps alors pour moi, chaque nouvelle personne qui se présentait à cette porte représentait donc une menace éventuelle. Je croisais à nouveau les bras contre mon torse, observant les allées et venues en attendant avec impatience qu’un collègue vienne me relever.  

☾ anesidora

Il n’y avait rien de pire que de faire un boulot pour l’alimentaire et cela, je le savais pertinemment. Très jeune, j’avais su ce que je voulais faire. L’armée était peut-être un choix qui s’imposait mais il avait été mon choix. Je n’avais jamais cherché à me renseigner concernant des études supérieures car je n’avais pas les moyens et s’il devait y avoir un sacrifié dans l’histoire, j’estimais l’être. Après tout, j’étais l’ainé de la famille, je devais m’assurer que Rose et Maddy puissent s’instruire, fonder une famille et être heureuse. Ma première sœur Rose avait réussi. Elle était professeur assistant à l’université de Tulane, son mari lui, était agent immobilier. Leur couple était solide, Phil était un bon gars et je ne m’en faisais pas pour eux. J’étais même très heureux depuis un an, depuis que mon neveu était né. Dans le fond, je me disais que c’était mieux que Tani et moi, ayons divorcé avant que ma sœur ne tombe enceinte, les disputes n’en auraient été que plus nombreuses et virulentes. Son désir de maternité bien que compréhensible avait frôlé l’obsession. J’avais essayé de la soutenir dans cette épreuve mais j’avais fini par baisser les bras et abandonner. Une jeune femme vint troubler le fil de mes pensées. Elle semblait jeune mais pétrie d’ambition comme la majorité des employés de cette chaîne. Ce milieu était un repère de requin et j’avoue que les entendre médire les uns sur les autres avait été ma seule distraction. « L’accès est interdit, veuillez faire demi-tour mademoiselle » l’interpellais-je alors qu’elle essayait de se faufiler sous mon bras. Je fronçais les sourcils en la ceinturant pour mieux pivoter le haut de mon corps, mon précieux fardeau dans les bras. Je la reposais à l’exacte opposée de la porte. « Sans vérification de votre identité, il m’est interdit de vous laisser entrer mademoiselle » lui expliquais-je d’une voix dénuée d’émotion. Un ton neutre, une allure stricte, telle était l’attitude d’un garde du corps ou plutôt d’un ancien marine. Ce job m’ennuyait car si j’avais fait une croix sur mon passé de militaire, ce n’était certainement pas pour jouer les potiches de service, devant une porte. A nouveau, je me rappelais le visage de ma sœur. Pour Maddy, je ferais l’effort de tolérer cette mascarade en songeant que si cette mission avait été plus intéressante, sûrement aurais-je pu prendre mon mal en patience, plus facilement.

☾ anesidora

Je sentais que cette personne allait me causer des soucis et je me devais de garder mon calme mais cette inconnue semblait bien décidée à entrer par tous les moyens. J’arquais un sourcil surpris quand elle déboutonna un bouton de son chemisier, m’offrant par la même occasion, une vue plongeante sur son décolleté. « Vous êtes une callgirl ? Je n’ai aucune instruction concernant une éventuelle prostituée pour mon employeur alors la réponse est toujours la même : non » répondis-je sans sourciller. J’avais connu des femmes et elle avait beau être aussi belle que sexy, j’étais de service et je n’étais pas du genre à succomber aux charmes d’une sirène aussi facilement. Elle ne devait pas fréquenter des hommes très difficiles pour songer qu’un simple aperçu de son décolleté me ferait plier. Est-ce qu’elle allait s’arrêter là ? Du tout. Cette femme était du genre têtu et si le sexe ne prenait pas, elle tentait à présent la corruption. A ses yeux, 100 dollars n’étaient rien mais pour moi, c’était déjà une belle somme. Un certain mépris s’inscrivit brièvement sur mon visage. Elle me donnait véritablement l’impression d’être devant ce genre de femme belle, sûre d’elle mais hautaine. Le genre de gosse de riche que je détestais particulièrement. « Me prendre pour un con ne vous aidera pas à rentrer alors la demoiselle, elle va faire demi-tour avant que je commence à m’énerver » lui répondis-je. Nous commencions à nous énerver mutuellement : elle par son comportement et moi par mon manque d’obéissance. « Si vous commenciez déjà par vous présenter au lieu de jouer les emmerdeuses de service ? On gagnerait certainement du temps » m’adressais-je à nouveau à elle en la toisant du regard. Elle était peut-être connue mais ce n’était pas le genre de choses qui retenait mon intérêt. J’étais plutôt le genre de mec à mettre tout le monde sur le même pied d’égalité contrairement à cette femme qui m’aurait oublié aussi vite qu’elle dévalisait un magasin durant les soldes. Moins d’une heure me répétais-je. Moins d’une heure et je serais libre de m’éloigner des créatures dans son genre. Je pourrais peut-être inviter mon meilleur pote boire une bière ou alors me trouver une compagnie agréable pour la nuit histoire de me changer les idées et d’évacuer l’agacement qu’elle avait fait naitre en moi.

☾ anesidora

Je me retenais de regarder une nouvelle fois ma montre tant le temps semblait s’écouler avec lenteur. Je n’avais rien contre de gagner quelques dollars de plus en jouant les gardes du corps ponctuellement mais je commençais à en avoir marre de jouer les potiches pour cet homme. Je n’avais donc qu’une hâte : rentrer chez moi, ouvrir une bonne bouteille de bière fraiche ou encore d’aller me terrer dans mon bar habituel afin de boire un bon verre de whisky et qui sait, trouver une charmante compagnie pour passer quelques heures. Cela faisait un moment que je n’avais pas touché une femme mais il faut dire que je n’étais pas vraiment du genre à collectionner les conquêtes. La demoiselle impertinente ouvrit à nouveau la bouche et je fronçais les sourcils de contrariété. Comment pouvait-elle connaître ma véritable profession ? Est-ce que je l’avais déjà vu ? Une ancienne conquête ? Non. J’étais certain de ne pas avoir serré ce corps contre le miens. Je m’en souviendrais forcément car la petite dame était du genre à sortir de mes critères de sélection habituels. « Je sais pas d’où vous tenez cette information mais j’ai tendance à ne pas jouer dans les clichés concernant les marins-pêcheurs alors call girl ou non, vous m’aurez pas avec le sexe » répliquais-je tout en essayant de me remémorer une éventuelle rencontre. J’étais encore de service, je ne me voyais pas lui poser la question directement. « Et miss Rosanna a conscience que face à moi, elle aura beau hurler, tempêter, rien y changera ? Vous faites votre job, je fais le mien » repris-je tout en la toisant du regard avant d’attraper la liste des visiteurs autorisés. Quel était l’idiot qui avait établi cette liste ?! Il n’y avait que les initiales pour les prénoms. « Un nom de famille m’aiderait » lui dis-je afin qu’elle se présente entièrement. « Si cela peut vous rassurer, je vous aurais oublier d’ici moins d’une heure donc autant en finir rapidement » ajoutais-je car je sentais une certaine réticence chez elle, à se présenter.

☾ anesidora

Je l’observais en train de reboutonner son chemisier, sa tenue devenant par la force des choses bien plus conventionnelle. Je ne savais pas si je devais m’en sentir déçu ou au contraire satisfait. Cette Rosanna possédait certains charmes, je devais bien le reconnaître. Toutefois, j’étais en plein service et le fait de ne pas savoir où est-ce que j’avais pu la croiser me turlupinait l’esprit. Si elle connaissait mon véritable métier, c’était peut-être une cliente. Il m’arrivait de vendre en direct sur certains marchés ou alors directement à mon retour de pêche. Les temps étaient durs pour tous les pêcheurs surtout cette saison et tous les moyens étaient bons pour se faire un peu d’argent. Contrairement aux autres collègues, mon manque de finance venait bien plus de la facture exorbitante pour les soins de ma petite sœur qu’autre chose puisqu’étant ancien militaire, je touchais une petite pension. « Un test ? J’ignorais que j’avais à vous rendre des comptes mais ravi d’avoir réussi tout de même » répondis-je sur un ton légèrement ironique avant de regarder sa main tendu. Je l’attrapais pour mieux la tourner afin d’y déposer un léger baise main. Cela pouvait sembler désuet mais j’avais gardé ce vieux réflexe. Il me venait de l’un de mes instructeurs à l’armée qui, je dois le reconnaître était un vrai séducteur. Je n’avais jamais compris comment ses méthodes d’un autre siècle fonctionnait mais à force de me faire faire des pompes et autres abdominaux pour m’inculquer certaines valeurs de « gentleman » ; j’avais fini par prendre le pli. Je me redressais pour mieux me concentrer sur la liste. « Vous êtes sur les personnes autorisées. Vous pouvez entrer mademoiselle Hobbs » lui annonçais-je.  

☾ anesidora