Dépasser la méfiance

 L'esprit de méfiance nous fait croire que tout le monde est capable de nous tromper. .

Il était déjà relativement tard quand Winifred quittât le club de striptease dans lequel, elle travaillait. Ce soir avait été un soir ordinaire, elle n’avait eu aucun extra à faire. Cela n’était pas plus mal, elle n’avait pas vraiment envie de jouer les étoiles de mer ni même les actrices pornos. Les hommes pouvaient avoir d’étranges goûts en matière de sexe. Certains de ses clients spéciaux lui demandaient simplement de les masturber avec les pieds, d’autres voulaient qu’elle joue les petites filles sages et soumises. Pour certains, au contraire, plus c’était vulgaire et plus c’était bon. Elle ne prenait plaisir avec aucun d’entre eux. Les exceptions étaient rares et malheureusement pour elle, bien souvent, ce genre de client n’était que de passage dans sa vie. Réajustant sa robe noire qui lui arrivait un peu en dessous des fesses, elle commençât à marcher sur le parking pour rejoindre son vieil impala. Le videur lui fit un signe de la main auquel elle répondit avant de remonter un peu le col de sa veste en cuir. Ses cheveux blonds étaient lâches sur ses épaules et son maquillage charbonneux faisait sensuellement ressortir le bleu de ses yeux. Un rouge à lèvre carmin et des cuissardes aussi noires que sa robe, terminaient de la rendre sexy. Elle venait de poser la main sur la poignée de sa porte quand elle se sentit percutée par l’arrière et coincée par une imposante musculature. L’homme apposât une lame sous son cou, attisant sa peur.

_ « Où est le fric Wini ? Tu es en retard sur ton paiement du mois alors tu vas devoir avancer un peu la tune si tu ne veux pas que je m’occupe de te refaire un joli sourire » grognât-il.
_ « Ecoute, je suis un peu en rade mais je te promets, demain tu auras ton fric Jimmy. En ce moment, les clients se bousculent pas et les pourboires non plus »

C’était un mensonge mais Winifred était endettée jusqu’au cou. Le goût du luxe, des erreurs de jugement et quelques paris illégaux l’avaient mise sur la paille. La lame lui écorchât le cou et elle grimaçât sous la petite pique de douleur.

_ « Je te laisse 24h pas une seule de plus ! »

Le fameux Jimmy la laissât sur ces derniers mots et elle poussât un soupire de soulagement. Elle était dans la merde et comme à chaque fois qu’elle l’était, sa route prit naturellement le chemin de l’agence Thompson où elle était quasi assurée d’y trouver son protecteur et accessoirement son banquier.

_ « Jaggounet ! J’ai absolument bes… Ah c’est toi » baragouinât-elle en ouvrant en grand, la porte de l’agence.

Jagger/Jeremiah ne s’y trouvait pas mais Jay oui.

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Jay, l’homme qui ne pouvait pas la voir en peinture mais ce sentiment était somme tout réciproque. Il y avait quelque chose chez lui qui mettait Winifred mal à l’aise. Cela venait peut-être du fait que c’était un ancien flic. Jagger ou plutôt Jeremiah (elle avait un mal fou à user de son véritable patronyme) l’était également mais il avait sombré du côté obscur depuis trop d’années pour avoir conservé toute sa droiture. Du moins, Winifred le cernait ainsi.

_ « M’envoyer en l’air avec lui, qu’est-ce que tu crois ? Tu sais le sexe torride. Tu te souviens comment on fait papy ? » se moquât-elle effrontément de lui.

Winifred était ainsi, elle mordait pour ne pas être mordue la première. Cette impertinence qui agaçait tellement les autres était une façon personnelle de se cacher, de se protéger. La vie n’avait été tendre et elle ne l’était toujours pas. Une raison supplémentaire de ne pas avouer ses faiblesses car elle n’allait tout de même pas dire à Jay que très souvent, elle venait voir Jagger pour qu’il lui explique les courriers qu’elle n’arrivait pas bien à lire. A 28 ans, la jolie blonde était proche de l’illettrisme, un handicap au quotidien. Ses doigts se portèrent à sa gorge et elle déglutit en voyant le sang. Elle détestait la vue du sang.

_ « Oh. Je l’avais pas vu celle-là » bafouillât-elle en se laissant choir sur un siège.

Elle secouât toutefois bien vite ses boucles blondes afin de reprendre contenance. Son regard bleu se posa sur Jay et elle soupirât.

_ « Il revient quand Jagger ? » lui demandât-elle.  

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_ « C’est bon à savoir » minaudât-elle en le regardant, amusée.

Winifred savait quand sa présence était tolérée ou non et Jay n’avait jamais fait beaucoup d’effort pour montrer autre chose que son agacement. Jagger le savait et bien souvent, il faisait le tampon entre les deux personnes afin de calmer le jeu. En même temps, il connaissait suffisamment Winifred pour savoir qu’elle avait tendance à se montrer exécrable quand on ne voulait pas d’elle. La stripteaseuse ne supportait pas le rejet d’autrui alors, elle avait tendance à bêtement se mettre un peu plus les gens à dos en leur montrant exactement ce qu’ils s’imaginaient de la personne qu’elle était. Jagger et elle partageaient au moins ce point commun, celui de savoir jouer un rôle à la perfection.

_ « Pourquoi ? Papa ours a peur que je n’attire des ennuis à son petit bébé ? Tu sais, il est grand, tu n’as plus besoin de lui torcher le cul. Il peut très bien vivre sans toi » répondit-elle.

Par réflexe, elle attrapât la boîte contenant de quoi soigner son cou. Elle l’ouvrit et aperçu plusieurs pansements ainsi que deux petites bouteilles. Elle n’avait aucune idée de celle qui était le désinfectant. Elle cligna des yeux, tentant de déchiffrer les lèvres mais il y avait certains mots qu’elle n’arrivait pas à lire. Honteusement, la belle blonde ne parvenait pas à lire d’autres livres que ceux pour enfants et encore, c’était un déchiffrage aux forceps.

_ « Tu ne veux pas le faire ? Je ne supporte pas la vue du sang et ce serait dommage que je tourne de l’œil dans l’agence. Puis si tu m’aides, je te dirais ce que je veux à Jagger. C’est donnant donnant » tentât-elle ce coup de bluff.

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Winifred n’avait aucune raison de douter des propos de Jay, elle ne connaissait pas vraiment leur relation. Elle savait juste que c’était un ancien flic, débarqué de Dallas pour intégrer l’agence de Jagger. Elle n’avait pas posé de questions à ce dernier car elle se fichait bien des réponses. La jolie blonde avait appris très jeune à ne jamais poser de question, à garder sa curiosité pour elle. On n’aimait pas les fouilles merdes dans le quartier où elle avait grandi.

_ « Oui oui donnant donnant » râlât-elle en roulant des yeux pour mieux se mordre la lèvre inférieure.

Elle détestait dépendre des autres mais elle n’avait pas le choix. Elle ignorait comment se soigner. Chez elle, elle avait instauré grâce à Jagger, des petites gommettes. Par exemple, les gommettes rouges étaient pour les petits bobos, les vertes pour tout ce qui était paracétamol etc. Elle s’en sortait comme cela. A son âge, demander de l’aide et surtout apprendre à lire ou à écrire convenablement, c’était de la folie. La seule chose qu’on n’avait pas encore réussi à lui ôter, c’était bien sa fierté.

_ « Aïe, ça pique !! » gémit-elle en faisant une petite moue capricieuse.

Winifred fut tout de même étonnée qu’il lui propose son aide. Elle fronçât les sourcils, cherchant l’entourloupe. Jay ne pouvait pas la blairer, pourquoi voudrait-il l’aider ? Par amitié pour Jagger ? Enfin Jeremiah ?

_ « Tu es très étrange papy. Sous prétexte que je suis son « amie » tu veux me tirer de mes emmerdes ? Tu ne peux pas m’encadrer. On le sait tous les deux. Après, si tu as de quoi m’avancer quelques centaines de dollars, je dis pas non » lui dit-elle après un court silence de réflexion.

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Winifred lui tirât la langue par pure bravade. Elle était ainsi faite :  immature, impertinente et irrespectueuse. Les gentils ne faisaient jamais long feu là où elle avait vécu et fatalement, elle avait fini par prendre tous les travers de l’humanité. Le pire dans cette histoire c’est que la seule personne qui avait réussi à percer sa carapace, à avoir tenté de la sortir de son enfer personnel avait été tué. Ce nouveau départ loin de Los Angeles, elle le lui devait. Tu parles d’une seconde chance songeât-elle avec amertume. Les problèmes étaient les mêmes qu’importe tous les efforts qu’elle ferait. Aux yeux de Jay et des autres, elle n’était qu’un parasite de plus sur cette Terre. Voilà pourquoi elle était étonnée qu’il veuille l’aider malgré son aversion pour elle. L’amitié était forte à ce point ?

_ « Parce que j’aime vivre au-dessus de mes moyens ? » s’amusât-elle à répondre.

Le pansement sur son cou était posé et elle soupirât en le touchant. Elle savait que le commun des mortels l’aurait remercié pour son aide mais puisqu’il exigeait d’elle quelque chose en retour, elle estimait ne rien lui devoir en matière de reconnaissance.

_ « Je vis dans le quartier de Trémé et dans ma rue et ceux aux alentours, si tu veux avoir la paix, tu dois payer tes potentiels bourreaux pour leur protection. J’ai pas ce fric alors j’ai emprunté à quelqu’un qui n’apprécie pas non plus que je le rembourse pas. Entre la peste et le choléra, j’ignore lequel choisir. Après, si tu veux me faire une place dans ton lit, je dis pas non. Je saurais te montrer combien, je peux être utile pour un homme » minaudât-elle en jouant de ses charmes.