[ELLIE] Une patiente à sauver

Jacob nota inconsciemment qu’elle n’avait pas mentionné ses parents. Il s’était attendu à ce qu’elle les cite en premier puisque sur son dossier, ils étaient inscrits comme toujours vivants. Etait-elle en conflit avec eux ? Probable. La majorité des personnes se tournaient vers un parent en cas de problème car c’était inconscient : on recherchait la sécurité d’un père ou d’une mère. Les frères et sœurs arrivaient en second au même titre que l’époux/l’épouse. Il la savait mère célibataire. Ellie était une belle femme, elle avait sûrement un petit-ami même s’il ne rentrait visiblement pas en ligne de compte. « D’accord, je m’adresserais à lui s’il est d’accord et seulement après que vous ayez vu avec lui, les sujets à aborder ou non » acquiesçait-il avant de quitter son poste d’observation pour se rapprocher d’elle. La posture de sa patiente changea du tout au tout, devenant plus méfiante et surtout sur la défensive. Ils allaient avoir un gros travail pour combattre ce réflexe de défense. Pour montrer « patte blanche », il consentit à s’éloigner d’elle, de quelques pas en arrière en glissant ses mains derrière son dos. Un léger sourire étira ses lèvres comme pour l’amadouer en douceur. Il rompit sa position uniquement pour prendre le téléphone qu’elle lui tendait. « Je présume que Jeremiah est votre frère ? A moins qu’il ne soit votre compagnon ? » l’interrogeait-il tout en notant mentalement qu’il faudrait noter tout cela dans son carnet pour s’en souvenir. « Nous pourrions envisager une demi-séance le mardi et peut-être le vendredi après-midi qu’en pensez-vous ? » lui proposait-il avant de noter son téléphone et de prendre son numéro. Puis, il lui tendit à nouveau le téléphone pour mieux reprendre ses distances et mettre ses mains à nouveau dans son dos. « Je me suis inscrit dans votre répertoire sous le nom de Jacob L. Vous pouvez toutefois m’appeler Jake, Jacob ou encore bien docteur si vous le désirez »

@Ellie Thompson

( Pando )

Jacob ne commenta pas l’annonce de sa séparation avec le père de l’enfant même si dans le cas de sa patiente, il aurait été appréciable qu’elle puisse être soutenue par un compagnon surtout dans une pareille épreuve. Toutefois, elle semblait proche de son frère. Une bonne chose soulignait-il mentalement. Finalement, ils arrivèrent à convenir d’un emploi du temps pour leurs séances. « Parfait. Si nous jugeons plus tard, d’intensifier ou au contraire de réduire nos séances, nous nous organiserons autrement » dit-il avant de lui proposer une approche moins inaccessible en lui citant les nombreuses façons de s’adresser à lui. Jacob n’avait jamais été très attaché à son titre de docteur. Bien souvent, il était un obstacle avec certains patients mais il devait reconnaitre que pour d’autres, il valait mieux se montrer prudent et distant. Ellie lui paraissait être une femme saine d’esprit. Traumatisée, affaiblie mais saine d’esprit. Le thérapeute se tourna vers sa sacoche dans le but évident d’y ranger son carnet mais sa patiente l’interpella, lui faisant froncer les sourcils d’incompréhension. Un dessin ? Son regard se porta sur le sol et il blêmit avant de rougir très légèrement. Mal à l’aise, il récupéra le fameux dessin, cherchant à qui pouvait bien être ce visage quand il remarqua une annotation en bas de la feuille volante : grand-mère. « Il. Il s’agit d’un portrait de ma grand-mère maternelle » se senti-il presque obligé de se justifier sur la présence d’un tel dessin. « J’apprécie de dessiner les gens m’entourant. C’est une vieille habitude » dit-il en tentant de trouver une raison valable. Il ne pouvait pas lui avouer que son propre visage se trouvait sur son carnet. Il ignorait quelle serait sa réaction. « Vous aimez dessiner ? »

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Jacob était mal à l’aise d’avoir échappé ce dessin de son carnet. Il n’aimait pas réellement se mettre en danger de cette façon ou parler de ses manies personnelles. Ellie était sa patiente, elle ne devait pas s’attarder sur un détail pareil et pourtant, elle esquissa un sourire. « Je ne peux que vous remercier pour ce compliment » déclara le thérapeute avant de poursuivre sur cette lancée « J’aimerais pouvoir vous le retourner. Peut-être puis-je vous demander une œuvre ? ». Jake affichait un sourire un brin amusé. Il ne pensait pas qu’une telle situation puisse amorcer un semblant de rapprochement entre eux seulement, il ne s’attendait pas à ce qu’elle veuille voir le portrait de sa grand-mère. Il hésita quelques instants avant de lui tendre le fameux carnet. C’était risqué mais en même temps, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’Ellie faisait preuve de bonne volonté et avait quelque peu oublié sa posture défensive. « J’aime avoir un souvenir des personnes qui partagent ma vie ou ne font que la traverser. Là où certains prennent des photos, moi je dessine et m’attarde sur des détails que beaucoup jugeront superficiels » lui expliquais-je au cas où qu’elle en vienne à s’interroger de toutes les annotations autour des portraits. Jake ne pouvait pas lui avouer la vérité sur son handicap. Par moment, ce secret était lourd à porter car seulement quelques proches triés sur le volet, étaient au courant et aucun membre de sa propre famille n’en faisait partie mise à part sa mère. Le thérapeute devait reconnaitre que lui-même doutait parfois et commençait à oublier qui savait quoi. C’était le prix du silence. Ça et la solitude inhérente à un tel handicap. « Sur quoi vous attardez-vous quand vous rencontrez une personne ? » lui demandait-il par curiosité personnelle et non professionnelle.

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Le dessin avait toujours été une thérapie ainsi qu’une passion dévorante pour Jacob Lannister mais à aucun moment, il n’aurait cru dans sa prime jeunesse que ce don lui permettrait de survivre dans une foule de visages anonymes. Il aurait aimé pouvoir apprécier à nouveau les traits de ses proches, se rappeler comment lui-même était. A la place, il y avait les dessins, des pages noircies de courbes, de traits et d’annotations en tout genre. Ce carnet, c’était tout simplement sa bible, sa façon de rester connecté au reste du monde. Il était d’ailleurs très étrange de voir une inconnue s’en emparer et commenter ses œuvres. Ellie ne s’imaginait pas combien ce carnet lui était précieux et combien il était mal à l’aise de la voir si proche de découvrir son secret. Quelle patiente saine d’esprit accepterait d’être suivie par un homme qui était incapable de se rappeler de son visage ? Pourtant, il lui suffisait d’un regard pour s’imaginer la belle femme qu’elle était. Ellie n’était définitivement pas une personne qu’on oubliait facilement et pourtant, s’il la croisait dans la rue, il ne la reconnaitrait pas. « Je n’ai pas une très bonne mémoire alors visualiser les choses ou les personnes m’aide à ne rien oublier » répondit-il avant de se racler la gorge. Ellie était bien trop observatrice et intelligente pour son propre bien. De son côté, Jacob commençait à regretter de lui avoir remis entre les mains, une telle arme. Il avait la désagréable impression d’être mise à nu. Une ironie dans le sens où normalement, c’était ses patients qui s’essayaient à cet exercice et non lui. Aussi, essayait-il de ramener leur conversation sur un sujet plus personnel pour Ellie mais cette dernière continuait de l’entrainer à ses dépends dans leur discussion. Jacob nota mentalement qu’elle était bien plus à l’aise en sa compagnie depuis qu’ils échangeaient. Toutefois, pourrait-il continuer à se livrer tout en gardant à la fois sa distance liée à sa profession ainsi que son secret en sécurité ? Telle était la question qu’il se posait. « Il est vrai que je suis attiré par le visage mais je me focalise pas dessus. Il y a tellement de détails même anodins qui déterminent l’identité d’une personne. Je présume comme vous l’avez souligné que cette manie d’observer l’autre, me vient d’une déformation professionnelle » lui dit-il tout en s’approchant d’elle. Ellie semblait avoir bloqué sur le dessin d’un enfant. Jacob du faire appel à sa mémoire pour se souvenir que cet enfant était un parfait inconnu. Ce dessin il l’avait fait spontanément alors qu’il se trouvait dans un parc de la ville, un samedi après-midi. L’enfant avait attiré son attention sans qu’il ne sache véritablement pourquoi. « Votre fils a quel âge ? » l’interrogeait-il soudainement plus par curiosité personnelle que professionnelle.
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« Des enfants ? Non, je n’ai pas cette chance » répondit-il en toute sincérité avec un zest de mélancolie dans la voix. Il y a cinq ans, Jacob Lannister lui aurait répondu qu’il n’en avait pas encore. Désormais, il ne s’imaginait pas avoir des enfants. Cela serait bien trop dangereux. Comment pourrait-il s’occuper d’un enfant qu’il serait bien incapable de reconnaitre ? On avait beau lui dire, preuve à l’appui, qu’il pourrait le reconnaitre autrement que par le regard, il restait sceptique. Il y a un an, il avait pourtant réalisé une immersion parmi un groupe de personnes ayant une déficience visuelle afin de trouver des solutions pour palier à son handicap. Certes, les deux handicaps étaient différents mais dans le fond n’étaient-ils pas semblables ? « Vous devez avoir hâte de sortir et de pouvoir retrouver votre enfant n’est-ce pas ? C’est votre frère qui s’en occupe ? » lui demandait-il tandis que son regard errait à nouveau sur son visage. Avait-il bien dessiné ses traits ? Impossible de le savoir puisqu’elle tenait son carnet. D’ailleurs, Jacob commençait à craindre sa réaction quand elle en viendrait à ses collaborateurs puis à ses patients. Comprendrait-elle ses mensonges préfabriqués qu’il énonçait avec la force de l’habitude plus qu’avec conviction ? Il en doutait. L’homme en lui ne pouvait s’empêcher de se remémorer les derniers moments avec sa compagne. Celle-ci avait fini par baisser les bras et sombrer dans une profonde dépression. L’amour pouvait vous forcer à tellement de choses même à souffrir. A partir de ce jour-là, Jacob s’était enfermé dans la solitude pour ne plus voir une autre personne souffrir avec lui. Ellie avait-elle connu ce genre de souffrance avec le père de son enfant ou était-elle tombée enceinte par inadvertance. Ce genre de questionnement ne devrait même pas lui effleurer l’esprit mais il y avait quelque chose chez cette femme qui le poussait à la curiosité. Il était intrigué à la fois par son passé mais également son présent. Le thérapeute essayait de justifier son comportement par de la curiosité professionnelle : connaitre sa patiente lui permettrait de l’aider du mieux possible. Néanmoins, il n’était pas assez naïf pour s’auto-persuader. « Est-ce que. Hum. Puis-je récupérer mon carnet ? »
@Ellie Thompson

( Pando )

« Peut-être un jour dans ce cas. »

Laissa-t-elle entendre percevant une once de tristesse dans cet aveu. Était-ce vraiment une question de chance ou bien de circonstance? Peut-être n’avait-il pas encore rencontré celle avec qui il voudrait partager ce projet? De nos jours, faire le choix de ne pas avoir d’enfant était plus que commun. Ellie ne regrettait pas d’avoir eu Maddox mais à bien y penser, elle aurait préféré qu’il ait un père présent.

« Il me manque, oui, il est avec mon frère. Je sais qu’il est entre bonnes mains, mais je ne dirais pas non de retrouver notre appartement et notre petite vie tranquille. »

Car l’hôpital, ça n’avait rien de plaisant. Perdre son autonomie et la force de faire ce qu’autrefois était si facile pouvait devenir frustrant et déprimant. Elle savait que la vie ne serait plus pareille, mais ne réalisait pas encore à quel point. Les médecins pouvaient bien répéter 100 fois qu’elle ne récupèrerait jamais entièrement, son subconscient n’en serait jamais convaincu. Dans tous les cas, pas pour l’instant.

Feuilletant toujours le carnet, page après page, visage après visage, elle s’arrêta lorsque le Jacob lui demanda s’il pouvait le récupérer. Refermant le livre, elle prit une dernière seconde pour revoir le visage qui s’affichait sur la couverture. Celui de Jacob, un autoportrait magnifiquement réalisé.

« Merci de m’avoir laissé voir. »

Elle aurait pu passer plusieurs heures à l’apprécier, mais se doutait qu’elle n’était probablement pas la seule patiente qu’il avait sur son horaire. De son côté, elle allait devoir se reposer.

« Avant que vous partiez, j’aurais une dernière question. »

Lui fit-elle savoir, marquant une pause, se demandant si vraiment elle pouvait se le permettre. Un dernier détail l’énervait au sujet de ce fameux carnet.

« Lorsque je vous ai demandé plus tôt si vous écriviez toujours autant lorsque vous rencontrez des patients, vous m’avez répondu que vous aimiez vous rappeler d’eux et que vous fonctionniez beaucoup à l’écrit… mais ces notes vous les preniez dans votre carnet de dessins..." Elle marqua une courte pause et poursuivit. " Est-ce que vous dessinez vos patients, pour vous rappeler d’eux? »


@Jacob Lannister

( Pando )